Article portant sur la première conférence de presse à Paris
  de Chapour Bakhtiar après plus de cinq mois de clandestinité.
  
  
  Article paru dans Le Monde daté du 1er août 1979
  
  
  La rentrée politique de Chapour Bakhtiar à Paris
  
  
  Chahpour Bakhtiar : « L’Iran existait AVANT l’apparition de l’islam 
  et je suis iranien avant d’être musulman. »
  
  
  M Chahpour Bakhtiar, dernier chef du gouvernement de la Monarchie   chassé d’Iran à la suite de la Révolution islamique de février [1979], a fait sa rentrée   politique ce mardi 31 juillet en tenant une conférence de presse dans un grand hôtel   parisien.
  
  
  M. Bakhtiar avait disparu le 12 février au cours des journées   révolutionnaires qui provoquèrent le renversement de la Monarchie perse. Sa   disparition avait donné lieu à de nombreuses spéculations et on avait même affirmé à   l’époque qu’il avait été arrêté par les comités Khomeiny. En fait, il s’était enfui à   l’étranger […]. Le 26 février, l’imam Khomeiny avait confirmé le départ à l’étranger   du « criminel Bakhtiar » et avait demandé aux pays où l’ancien Premier ministre   avait pu chercher refuge de l’extrader en Iran pour l’y faire juger. Le 13 mai dernier,   l’ayatollah Khalkhali, président du tribunal islamique de Téhéran, avait annoncé que   le Chah et ses trois derniers chefs de gouvernement, dont M. Bakhtiar, avaient été   condamnés à mort par contumace.
  
  
  Au cours de sa conférence de presse, M. Bakhtiar a notamment réclamé   l’organisation d’ « un nouveau référendum, un vrai», pour que le peuple iranien   puisse « choisir librement entre la Monarchie et la République ».
  
  
  « Le peuple iranien doit avoir la possibilité de choisir librement et sans   pression entre la monarchie et la République. Un nouveau référendum, un   vrai, est indispensable à cet égard. »
  
  
  L’homme qui martèle ces mots avec force est un revenant : M. Chapour   Bakhtiar, le dernier Premier ministre (du Chah d’Iran) chassé du pouvoir par   l’insurrection populaire des « trois glorieuses » (du 9 au 11 février 1979). Disparu   mystérieusement il y a près de six mois, M. Bakhtiar a fait sa première apparition ce   mardi 31 juillet à une conférence de presse qu’il a tenue dans un grand hôtel de la   rive gauche. […] M. Bakhtiar prend visiblement plaisir à se faire « mitrailler » par   une meute de photographes et de cameramen.
              La Révolution ? Le mot suscite un haut-le-corps chez l’ancien leader   du Front national : « La Révolution, c’est le retour en arrière. (…) C’est   l’agitation, c’est la pagaille qui donne la nausée », lance-t-il. « Ce que je veux,   c’est le progrès dans tous les domaines, économique, social, politique,   culturel.. »  […]
  
  
              Une fois de plus, M. Bakhtiar dresse un parallèle entre le général de Gaulle   et lui-même, l’un et l’autre étant exilés d’une « une patrie occupée ». L’Iran, pour   lui, est soumise à l’empire d’ «une idéologie étrangère », celle d’un Islam dans   lequel le peuple ne se reconnaît pas. 
  Est-il lui aussi investi d’une mission libératrice ? Il répond implicitement par   l’affirmative : « Aucune personnalité politique ou religieuse en Iran n’est   aujourd’hui capable de remettre le pays en marche. »
              S’il est indulgent envers un ami de longue date, l’actuel Premier ministre   Bazargan, dont il plaint l’impuissance, il est impitoyable à l’égard de ses anciens   compagnons du Front national : « Ils ont cédé à la populace sans conviction. Ils   se sont trompés sur toute la ligne. Ils le regrettent aujourd’hui, mais ils n’ont   pas le courage de l’admettre. J’ai rompu avec Karim Sandjabi (le chef du Front   national), et c’est définitif. Je ne le reverrai plus jamais… »
  
  
              Pour sa part, il avait tout prévu dès le début. C’est seulement la rapidité de la   détérioration de la situation, l’ampleur du désastre, qui l’ont surpris. 
  Le bilan de six mois de pouvoir islamique est « catastrophique » : il   faudrait plusieurs années pour rétablir l’économie, mais il se fait fort de la remettre à   flot en dix-huit mois s’il devait reprendre en main les rênes du pouvoir. Il n’y a plus   d’Etat, plus de gouvernement, seulement une « collection de féodalités »,   plus de sécurité.
              « Des dizaines de milliers d’innocents ont été tués, d’innombrables   foyers ont été pillés. En six mois, nous avons perdu davantage qu’en vingt-cinq   ans de vol et de gaspillage sous la monarchie », s’exclame-t-il. Le pays, ajoute-t-  il, se désagrège, et « cela est insupportable pour tout Iranien, quelles que soient   ses opinions ». […]
              L’origine de tous les maux actuels, déclare-t-il, réside dans « le grand, le   très grand malentendu entre Khomeiny et les forces vives de la nation ». […]   L’imam lui-même n’oeuvrait que pour établir un « régime islamique très, très   spécial », un régime dont personne, même pas M. Bazargan, ne comprend les   tenants et les aboutissants, un régime dit révolutionnaire sans idée maîtresse.   « Khomeiny, contrairement à Hitler, Lénine, Castro ou Nasser, ne sait pas où il   va. »
              « Certes, poursuit M. Bakhtiar, l’Iran est un pays musulman depuis mille   quatre cents ans, mais s’il ne s’est pas doté depuis d’un régime islamique, il est   bien trop tard et vain d’essayer de lui imposer aujourd’hui un tel système. » 
  Ce sont des « arrivistes » qui ont voté en faveur de la République   islamique.
              Beaucoup d’entre eux savaient que Khomeiny conduirait le pays à   l’impasse mais « faisaient semblant de l’ignorer ». 
  M. Bakhtiar insiste : « L’Iran existait avant l’apparition de l’islam et je   suis iranien avant d’être musulman. »
              Que propose-t-il au peuple iranien ? « Les mollahs, répond-il, doivent   rentrer dans leurs mosquées. […]. »
              Est-il vrai, comme le soutient l’actuel ambassadeur d’Iran à Paris, M. Amir-  Alai, qu’il projette une contre-Révolution, en collaboration avec la CIA, avec   laquelle il collabore de longue date ?      M. Bakhtiar le nie énergiquement, avant   d’ajouter qu’il n’a qu’un « respect mitigé » pour M. Amir-Alai. 
  Il dément de même catégoriquement qu’il ait eu des contacts avec le Chah   ou avec le général Palisban qui serait à la tête d’une « Armée blanche » dans le   Kurdistan. « Je ne connais même pas le général Palisban , insiste-t-il, tout ça,   c’est des bobards» . 
  Tout autant que les affirmations au printemps dernier de M. Poniatowski   selon lesquelles il aurait rejoint la France aussitôt après avoir pris la fuite d’Iran pour   se réfugier dans une localité située à 350 kilomètres de Clermont-Ferrand. « Je n’ai   jamais rencontré M. Poniatowski, indique-t-il. Et je ne vous dirai pas quand,   comment et grâce à qui je suis parmi vous. »
  
  
              Oui, bien sûr que la police française le protège, « mais beaucoup moins   qu’elle n’a protégé Khomeiny lors de son passage à Neauphle-le-Château. »   Cependant, tout comme l’imam, il bénéficie d’une autorisation de séjour de trois   mois. A ce propos, il tient à « remercier la France, championne de toutes les   libertés et à laquelle m’attachent des liens multiples ».