1939: étudiant persan
         cherche poste de combat 
         dans l'Armée française
  
  
  
  
  La guerre éclate
  J'étais à Juan-les-Pins lorsque la guerre éclata. On trouve dans la région plus d'oliviers que   de baïonnettes et pourtant je pouvais faire mienne la réflexion écrite dans son Journal par André   Gide, près d'un an plus tôt : «Aujourd'hui, dès le lever, me ressaisit l'angoisse à contempler   l'épais nuage qui s'étend affreusement sur l'Europe, sur l'univers entier... La menace me   paraît si pressante qu'il faille être aveugle pour ne la point voir et continuer d'espérer. » […]
  Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclaraient la guerre à l'Allemagne,   qui l'avait bien cherché. 
  Ma décision était prise ; je ne pouvais rester en dehors de cette aventure et tout m'indiquait   la voie à suivre : m'engager dans l'Armée française en tant que volontaire. Je suis allé m'inscrire à   Nice. Personne ne voulait de moi. On m'a répondu : « Vous habitez Paris, alors allez là-bas et   débrouillez-vous ! » 
  C'était fantastique : nous venions offrir notre vie pour la Patrie et c'est ainsi qu'on nous   traitait ! Discipliné, je suis rentré à Paris, j'ai frappé à toutes les portes. Un beau jour,   l'administration militaire m'a fait connaître sa réponse: « Engagez-vous dans la Légion étrangère.   »
  J'ai refusé. Marié à une Française depuis plus d'un an, étant dans ma cinquième année de   séjour en France, diplômé des universités françaises, je pensais avoir le droit d'être assimilé aux   Français.
  Les autorités ont fini par se ranger à mes arguments. Elles m'ont néanmoins fait languir   encore de longs mois avant de me convoquer pour un examen médical. J'avais vingt-six ans, j'étais   très sportif, le médecin me déclara bon pour le service.
  
  
  La drôle de guerre
  On a qualifié de « drôle de guerre » la période allant de la déclaration de guerre à mai 1940.   C'était effectivement une drôle de guerre ; il m'a fallu attendre le mois de mars pour être enfin   affecté à Orléans, au 30e Régiment d'artillerie. 
  Etant volontaire, j'avais pu choisir mon arme... Je me souviens d'avoir été versé dans la 98e   batterie, puis à la 99e. Nous sommes partis à l'entraînement dans un petit village, près d'un vieux   moulin, dans une campagne retirée. Un entraînement à la façon d'alors ; nous avions envie, à force   de marcher, de retirer nos « godillots » et d'aller pieds nus.
  Notre artillerie était décorée du mot avantageux d' « auto-tractée ». Pendant la retraite,   nous serons obligés, sur l'ordre du capitaine qui, évidemment, obéissait au colonel du régiment, de   brûler trois voitures qui ne pouvaient plus suivre. Elles avaient fait Verdun, elles dataient de 1915.   Trente ans pour des voitures, avec l'entretien que cela comporte ! L'armement ne le cédait en rien   aux véhicules pour la vétusté. Nous n'étions certainement pas un régiment d'élite, mais les régiments   d'élite n'étaient pas mieux lotis. Aucune comparaison avec ce qu'avaient les Allemands, ni avec   l'équipement qui sera celui des Américains.
  
  
  Derrière la ligne Maginot
  Une fois débrouillés, nous avons été envoyés comme troupe de couverture derrière la ligne   Maginot. Je n'avais pas terminé mes classes d'élève-officier ; on a considéré opportun de m'affecter   tout de suite à la conduite des véhicules. Pour les galons, on devait me les remettre plus tard, ce   n'était d'ailleurs pas ce qui m'intéressait.
  
  
  Nous sommes restés cantonnés environ un mois, n'ayant rien à faire, dans une tranquillité   désespérante. A droite, la ligne Maginot, à gauche l'armée du général Huntziger. On évoquait   régulièrement devant nous les percées auxquelles nous allions procéder dans le dispositif ennemi.   Puis, un jour, on nous apprit que nous allions rejoindre un théâtre d'opérations situé à l'autre bout de   la France : l'Italie venait de faire son entrée dans la guerre.
  
  
  Encerclés par une unité ennemie
  Trop tard, les Panzerdivisions déferlaient déjà, la limite était indécise entre le repli   stratégique et la débandade. Je ne sais pas par quel miracle nous avons un soir échappé aux   Allemands. Encerclés dans un bois obscur par une unité ennemie, nous nous croyions prisonniers,   mais au petit matin, fait extraordinaire, il n'y avait plus personne. Nous avaient-ils déconsidérés?   Avaient-ils mieux à faire que de s'occuper de nous ? Dans ses Mémoires de guerre, de Gaulle cite   le cas de troupes françaises qu'ils désarmèrent avant de leur dire : « Prenez la route du sud   comme les autres, nous n'avons pas le temps de vous faire prisonniers. » Peut-être étions-nous   dans la même situation, à part que le temps, manquant encore davantage, n'avait même pas permis   le contact entre eux et nous.
  
  
  Armistice
  Nous sommes arrivés à Clermont-Ferrand, puis avons obliqué vers l'Ouest, non loin de   Carcassonne, pour aboutir à Lannemezan où se trouve une gare de triage ; une des voies qui s'en   échappent nous a déposés à Tri-sur-Baïse, dans les Pyrénées. Impossible d'aller plus loin, après   c'était l'Espagne.
  Nous sommes restés dans ce village deux mois, tandis que l'armistice était signé et la ligne   de démarcation entre France libre et France occupée mise en place. Deux mois d'un profond ennui   ; nous organisions des excursions. 
  J'ai envisagé de passer la frontière pour continuer la lutte ailleurs ; je crois qu'au fond de   moi-même je n'y étais pas disposé.
  
  
  
  
  Anti-défaitisme chevillé au corps 
  Il y a une chose, en tout cas, dont j'étais sûr, dont je n'ai jamais douté une seconde : la   défaite allemande. A l'époque, on plaisantait de l'affirmation du pauvre Reynaud : « Nous   vaincrons parce que nous sommes les plus forts. » Eh bien, il disait vrai, cela s'est réalisé plus   tard. 
  
  
  Mon premier contact avec la prison s'est effectué en France, sous l'uniforme. Je me suis battu avec   un camarade défaitiste qui prédisait comme inéluctable la domination définitive de la France, de   l'Angleterre par Hitler. J'avais la conviction du contraire. Nous avons écopé de quinze jours d'arrêts   chacun.