L'apprentissage de la Résistance
Ma démobilisation me permit de rentrer à Paris et de m'inscrire de nouveau à la Sorbonne et à la faculté de droit pour passer deux thèses de doctorat. L'une ne fut jamais terminée, elle était consacrée au « potentiel de l'intellect ». L'autre absorba tous mes soins ; elle avait pour sujet « Les rapports entre le pouvoir politique et la religion dans la société antique ». Mon président était Georges Scelle, un socialiste centre gauche, brillant juriste que nous retrouverons comme conseiller de l'Iran dans le litige opposant notre pays à l'Anglo Iranian Co. Il avait à ses côtés Olivier Martin, dont j'ai déjà parlé, et Lévy-Bruhl, le fils du célèbre sociologue.
Ma vie va se passer alors entre Paris et la Bretagne. J'avais fait la connaissance en 1939 d'une jeune Française qui était devenue ma femme. Au début de l'Occupation, nous avions deux enfants, que je voulus mettre à l'abri des bombardements et des restrictions alimentaires. Cette double condition était remplie par la très petite ville de Saint-Nicolas-du-Pélem, sur la route qui va de Saint-Brieuc à Rostrenen.
« Le diplôme, disait Valéry, est l'ennemi mortel de la culture. »
Ce que j'avais fait jusqu'ici avait pour finalité le diplôme, je m'étais astreint à une discipline pour suivre l'itinéraire que les autres avaient suivi pour aboutir à la même fin. Le travail personnel commençait avec la préparation de thèse. Cette période m'a permis de me former réellement et si je sais quelque chose en philosophie et en poésie, voire en droit, c'est de ces années-là que je le tiens.
Mon camarade Félix Gaillard d'Aimé
J'allais fréquemment à Paris pour consulter divers ouvrages ; c'est ainsi que je rencontrai Félix Gaillard, un de mes camarades de Sciences-Po et de la faculté de droit. Il étudiait les finances privées et moi les finances publiques.
Félix Gaillard d'Aimé m'a laissé une grande impression. A Sciences-Po, il dominait le reste de la classe par sa distinction et sa façon élégante de s'exprimer. Pour ma dernière conférence, ayant la possibilité de faire lire des textes par un camarade, ce fut lui que je choisis. Il récita de l'Anatole France avec une diction digne de la Comédie-Française. Je ne fus point surpris plus tard de le voir devenir président du Conseil à trente-sept ans et sa mort prématurée m'affecta beaucoup.